Friday, June 15, 2018

L'UNION EUROPEENNE AUJOURD'HUI OU L*AUTO-COLONIALISME

La progression des mouvements dits "populistes" dans l'Union Européenne suscite de nombreux commentaires et analyses.  Il manque cependant quelques éléments qui me semblent essentiels pour mieux cerner ce qui est en train de se passer actuellement.
La première chose qu'il faut analyser,  il me semble,  est le fonctionnement de la superstructure politique européenne dans sa nature de “pouvoir”. En effet,  nous sommes en présence d'un super- état,  la commission européenne,  doublé d'un parlement gigantesque,  mais aux pouvoirs flous,  car tour à tour contre- pouvoir limité et acteur d'une parodie de démocratie,  où la "représentativité" est tellement déléguée qu'elle ne représente plus grand chose sinon l’absurdité du système lui-même.  l'Union européenne,  dans son avatar actuel,  a tout d'un monstre bicéphale,  avec une tête qui décide d'à peu près tout et qui le cache, et une autre d'à peu près rien, mais qui fait semblant. Or ce monstre a pour objectif de régner au nom d'une idée politique peut-être légitime et honorable à ses débuts,  mais qui s'est transformée depuis les traités de Maastricht et de Lisbonne  en une idéologie économico-politique de plus en plus autoritaire.
Cette idéologie,  pieusement appelée "néo-libéralisme", est en fait une émanation toxique de l'ultracapitamisme anglo-saxon,  défendu à la fois par Reagan,  Thatcher et Blair. Je ne reviendrai pas sur ses caractéristiques,  que tout le monde connaît,  mais plutôt sur les conséquences paradoxales et dangereuses que son application implique pour ce qu'on appelle le projet d'union européenne.
En effet,  la commission et le parlement,  main dans la main,  tentent de gouverner comme des frères siamois et de manière ultra-centralisée un amas hétéroclite de pays déliés par leurs langues et leurs cultures,  quitte à remplacer les  histoires nationales (souvent tragiques) par une grande narration européenne (d’un optimisme béat). Si apparemment l'intention est louable (personne ne veut se battre a priori aujourd'hui pour défendre un drapeau quelconque - quoi que... mais nous y reviendrons),  la méthode employée est plus que criticable,  car elle se base directement,  consciemment ou pire, inconsciemment,  sur le modèle colonial.
Dans les colonies,  tout le pouvoir résidait en métropole,  et était assuré sur place par des institutions soi-disant représentatives,   soit nationales,   soit locales,qui transmettaient des directives qui ne pouvaient être discutées. Ce schéma de base est précisément ce que critiquent ces mouvements "populistes" mentionnés plus haut et sur lesquels nous reviendrons plus avant. 
Cependant,  le projet d'union est compliqué justement par la diversité de modèles propres à chaque pays colonisateur: entre le "home rule" britannique et le modèle "universaliste" français,  le fossé est profond,  voire même irréconciliable. Pourtant on retrouve ces deux modèles cohabitant au sein même du projet européen actuel,  et la crise que nous traversons est bien le résultat d'un conflit interne sur l'administration des territoires de l'Union,  c'est à dire nos pays.
Du côté anglo-saxon, on a chercher à contre-balancer le ecntralisme “universaliste” par une délégation symbolique à des pouvoirs “locaux”, autrement dit nos gouvernements. Symbolique, parce que malgré cette apparente volonté de partage, se dessine la défense de l’axe Grande-Bretagne-États-Unis, c’est à dire une mise sous influence des états au travers d’un soutien discret aux partis, aux mouvements et aux individus favorables à cette politique. C’était l’essence du colobialisme britannique, où l’on gardait la structure sociale et nationale des pays colonisés, tout en leur imposant un sévère contrôle politqiue et économique.
Du côté français, on mise par contre sur un discours “universaliste” et centraliste, qui vise à former une union qui tente d’effacer les aspects négatifs du nationalisme par une adhésion tout aussi romantique à un idéal politique humaniste de progrès. Le seul problème est que c’est exactment en ces termes que la IIIème république a engagé sa politique de colonisation à outrance à partir des années 1880. Le remplacement des identités nationales “inférieures” par une identité de progrès “supérieure.”
Quant à l’Allemagne, pays plus petitement (mais auss brutalement) colonial que les deux autres, elle insiste plus sur le “pragmatisme” comme couleur politique, qui est en fait la défense de ses propres intérêts économiques et de sa politique envers l’ancien bloc de l’est. Ni vraiment centraliste, ni “home ruliste”, elle navigue entre les deux au cours des évènements. C’est peut-être, d’ailleurs. La nation la plus authentiquement “européenne” des trois citées ici, à cause de son passé abominable et de son impossible désir de rédemption.
La réaction “populiste” à laquelle nous assistons aujourd’hui dans tous les pays membres peut donc être lue à l’aune de cette réalité politque et être analysée de manière un peu différente que ce que les médias ou autres “experts” nous proposent. En effet, il faut tout d’abord rejeter le terme de “populiste”, parce que, par définition, tous les partis politiques le sont, d’une manière ou d’une autre, puisqu’ils font tous des promesses intenables pour flatter le “peuple” et recueillir ses voix. Je pense qu’il faudrait plutôt parler de mouvements réactionnels, plutôt que réactionnaires, car ils ne le sont pas tous, et pas tous de la même manière.
Ce qu’ils ont en commun, par contre, c’est la crise économique de 2009, qui a vu leurs rangs s’étoffer considérablement. Ce qui a frappé les esprits, c’est le fait qu’au moment où les états sauvaient les banques avec la même politique dictée par la Banque Centrale Européenne, aucun des responsables n’a été condamné, ni même un tant soit peu inquiété. Et, deuxième aspect important, cette aide des états a été financée par le démembrement radical des protections sociales et du tissu industriel national. Troisième et dernier aspect, la trahison des partis de gauche au pouvoir dans certains pays (France, Danemark, Espagne, Italie, etc.) qui se sont non seulement soumis aux diktats de la Banque Centrale et des lobbies économiques (qu’on appelle pudiquement “think tanks”, mais qui sont bien des lobbies), mais ont en plus repris le “TINA” (“There Is No Alternative”) de Thatcher comme seule justification.
Or, ce déplacement du centre de décisoon politique et économique vers une entité toute puissante et méta-nationale est une des caractéristiques d’une situation coloniale. Et si nous analysons les réactions nationalistes auxquelles nous assistons autour de nous au travers du prisme colonial, nous pouvons mieux comprendre la fracture qu’ils montrent. C’est la mauvais réponse à un vrai problème, mais qui nous dépasse parce qu’il semble hors de notre portée, alors qu’en réalité, nous avons les moyens de le combattre sans nécessairement passer par la violence.  
Il est temps que l’Europe change de projet, sinon nous allons, je le crains, assister à de plus en plus de mouvements de “libération nationale”, dont le Brexit est le modéle le plus spectaculaire et le plus paradoxal.  Mais pour les humanistes radicaux, dont je fais partie, il nous faut inventer une lutte sur deux fronts, qui sache nommer les ennemis et les idéologies qu’ils défendent. Il nous faut proposer, et pas seulement protester, des solutions pour défendre la dignité, le vivre-ensemble et la paix, mais dans le respect des différences et sur un pied d’égalité. Il nous faut inventer une nouvelle forme de “contrat social” européen, loin du modèle d’auto-colonisation économique et politique qu’on cherche à nous imposer. Mais il faut le faire dans un grand rassemblement fraternel et respectueux, et non dans un esprit de clivage, qui est la caractéristique des mouvements réactionnaires de droite, comme de gauche.
Il nous faut lutter non pas avec des slogans politiques éculés, mais au nom de la simple dignité humaine et du droit radical et inaliénable à la différence.

3 comments:

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  2. Excellente analyse, Seb.

    Tu as raison à mon avis de constater que l'année 2009 marque un moment clé dans l'histoire récente du continent. Il me semble que le sens d'un manque de légitimité des classes dirigeantes s'expose lors de cette crise. Faute des pouvoirs gauchistes dignes du nom, le public n'a eu aucune porte d'issue sauf une réaction tiède contre les diktats du régime néo-libéral. Il s'agit donc à mon avis - et tu y fais allusion - à un vide politique au sein de la gauche. Faute d'une collectivité démocratique et quotidiennement engagée - dans le sens où la politique est vécue de lutte en lutte et non pas exclusivement voté aux urnes - un pouvoir apparemment contradictoire, celui du nationalisme, reposant sur la fausse sécurité d'un patrimoine et d'une histoire mal compris mais articulés avec vigueur, jouit d'une renaissance troublante et pourtant prévisible. Ceci montre également que, si le projet européen se repose sur les valeurs économiques prétendument incontournables sans l'établissement d'un esprit européen du peuple sur le plan social et, oui, politique, on ne devrait pas s'étonner à ce que les peuples européens s'appuient sur les identités nationalistes mieux enracinées dont le corollaire reste la persistance des anciennes inimités.

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  3. Je crains fort qu'il ne soit déjà trop tard! Une terrible machine de haine est en marche et la réélection de Erdogan le confirme. Quel désastre d'inhumanité! Hélas, hélas, hélas!

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